Où est l'Europe?

J'ai lu récemment une lettre d'un jeune homme né en France de parents immigrés polonais, qui a passé toute sa vie en France, et qui fait maintenant une partie de ses études en Allemagne. Dans sa lettre, il écrit spontanément "mon pays, la Pologne", alors qu'il n'y a jamais passé plus de deux mois d'affilée. Avec tout autant d'affection, il décrit sa vie, ses études et sa coopération avec une radio locale en France. Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter un peu plus loin: "Je me suis beaucoup attaché à l'Allemagne". Est-il donc un Français? Un Polonais? Ou un traître de ces deux nations qui ose s'attacher à leur ennemi héréditaire, l'Allemagne? En fait, il n'est aucun des trois. Ou, peut-être, les trois à la fois. Il est un Européen.

Cela existe déjà, les Européens, bien que les institutions ne semblent pas encore vraiment les remarquer, et que l'on en parle peu. En effet, c'est tellement peu spectaculaire, les gens qui se sentent chez eux partout, qui n'éprouvent aucune animosité envers personne, et qui jugent les autres selon ce qu'ils sont humainement, et non pas historiquement, ethniquement ou politiquement.

C'est en lisant les lettres de ce genre que l'on peut réaliser à quel point nous avons réussi à nous éloigner de l'Europe des haines. J'avais une tante d'origine allemande dont le mari polonais se battait en France et a été tué par les Allemands en 1940, lors d'une tentative de fuite d'un convoi des prisonniers de guerre dans les Ardennes. Le frère de ma tante, qui vivait avec toute sa famille à Varsovie et se sentait beaucoup plus Polonais qu'Allemand, a été enregistré comme un "Reichsdeutsch" par les occupants et incorporé dans la Wehrmacht. Imaginez un peu: la veuve d'un Polonais assassiné par la Wehrmacht voit son frère incorporé dans la Wehrmacht.
Ma tante a totalement recusé son pays natal et ne supportait pas que l'on rappelle ses origines allemandes. Après la guerre, elle s'est établie à Paris, où elle est morte en 1998. Elle n'a jamais demandé ni la nationalité française, ni un passeport de la Pologne communiste. Elle a gardé le statut de réfugiée et son passeport polonais établi en 1938 jusqu'à son dernier jour. Qu'aurait-elle dit en lisant la lettre de ce jeune homme qui circule sans problème, et sans aucun passeport, entre la France, la Pologne et l'Allemagne et les traite tous les trois comme "ses" pays? Elle rêvait d'une telle Europe, mais elle la croyait utopique.
 
Et pourtant, cette utopie commence à prendre corps sous nos yeux. Seulement, elle n'est pas là où la majorité des médias viennent chercher des nouvelles de l'Europe, c'est-à-dire à Bruxelles. Elle est dans cette génération des Erasmus, de l'Europe de la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, de l'Europe de l'internet et du roaming de moins en
moins cher. Génération qui doit son Europe en grande partie aux hommes politiques visionnaires et aux institutions européennes, mais qui s'approprie cette Europe et ne l'imagine pas du tout cantonnée à Bruxelles, et encore moins à sa capitale nationale. Génération qui paraît un peu surprise, voire déconcertée, quand on lui pose des questions sur son "identité nationale". Elle a la tête déjà ailleurs.
 
Oui, je sais, on peut facilement me dire que cette Europe-là n'est pour l'instant qu'une Europe des élites qui peuvent aspirer à une bonne éducation et qui peuvent se permettre de l'acquérir dans de divers pays et/ou de voyager beaucoup. C'est partiellement vrai, mais... grâce, entre autre, aux bourses proposées par les institutions européennes et les collectivités territoriales, le phénomène n'est plus aussi élitiste qu'il ne puisse paraître. Et puis, beaucoup de choses commencent au sein des élites pour devenir finalement un bien commun. Souvenons-nous, il y a relativement peu de temps, les ordinateurs, les téléphones portables ou l'internet n'étaient que les "jouets" des riches et des passionnés.
 
Je pense "Europe", je dis "Bruxelles". Nous avons tellement pris l'habitude d'identifier l'Union européenne à ses institutions qu'il nous paraît presque inconcevable de voir l'Europe et son avenir ailleurs. Or le Conseil, la Commission ou le Parlement européens ne valent notre attention que dans la mesure où ils peuvent établir les principes et les règles qui facilitent l'intégration européenne. Un cadre. Rien de moins, mais rien de plus. A nous de le remplir.
 
Bref, la vraie nouvelle Europe n'est pas à cette lointaine, rigide et bureaucratique Bruxelles que nous connaissons tous par coeur de clichés bien médiatisés. Elle est peut-être beaucoup plus près: elle se glisse discrétement dans nos têtes.

(Photo: Yann Moszynski)

1 Comments

Je pense qu il appartient au 2 pays c est a dire la pologne ( son pays d origine du fait de ses parents) et la france (son pays d accueil).Concernant l allemagne c est tout simplement e pays qu il aime.
C est un EUROPEEN dans tout les sens du terme car il est pluri-culturel