Les Belges et leurs cloisons

Ce que les Français racontent comme blagues sur les Belges n'est rien à côté de ce que les Belges racontent sur eux-mêmes. Et plus particulièrement, de ce que les habitants flamands de la Belgique ont à dire sur les citoyens wallons (francophones) de ce même pays, et réciproquement. Leur humour est plutôt féroce. Et peu drôle.

  

Le schéma est simple. Selon les Flamands, les Wallons sont paresseux et gâtés par l'Etat providence fédéral, dont la générosité sociale bénéficie surtout aux francophones, alors

qu'elle est financée par les Flamands, travailleurs et bien organisés. Selon les Wallons, les Flamands sont devenus arrogants, hautains et presque racistes par rapport aux francophones depuis que l'industrie lourde située en Wallonie a été ruinée par la crise mondiale dans le secteur et que la Flandre s'en était mieux sortie grâce à une autre structure de son économie. Toujours selon les Wallons, les égoïstes Flamands veulent maintenant aller jusqu'à la désintégration de l'Etat belge pour éviter d'être solidaires dans les difficultés et pour ne pas partager leur fardeau.

 
Bien sûr, les Flamands répondent volontiers qu'ils n'ont pas de leçons à recevoir sur la solidarité, car dans le passé, ils subissaient des humiliations incessantes de la part de leurs concitoyens francophones. A l'époque, les Wallons les traitaient non seulement avec arrogance, mais aussi avec beaucoup de mépris. Alors, qu'on les traite maintenant de la même manière... Où est le problème?
 
Et l'on peut continuer comme cela pendant des heures, des deux côtés. C'est une histoire sans fin.
 
Mais il y a encore plus drôle (?). J'ai rencontré non seulement des Flamands et des Wallons, mais aussi un certain nombre d'immigrés, originaires essentiellement de pays musulmans et de l'Europe centrale. Ils semblent très bien sentir qui est actuellement en position de force en Belgique et qui risque d'y dicter la loi dans les prochaines années. Ainsi, ils ont tendance à s'identifier aux Flamands et à tenir un discours antiwallon d'une rare sévérité. Sans s'en apercevoir, ils reproduisent les clichés dont ils sont souvent victimes eux-mêmes et les projettent sur les Wallons, considérés comme plus faibles dans le jeu belgo-belge.
 
Bouche bée, j'écoute donc, en plein quartier turc de Schaerbeek, les habitants me raconter sans sourciller que les francophones sont des bons à rien, qui ne veulent pas travailler, qui comptent uniquement sur l'aide sociale et qui cherchent seulement à se mettre au chômage pour percevoir des allocations. "Ils ne font rien du tout, les Wallons – m'explique un commerçant turc – et le chômage, ça monte tout le temps de leur côté". Parce que, tout le monde le sait, les francophones tiennent à être au chômage. Cela leur plaît énormément.
 
En plein centre de Bruxelles, une Polonaise, établie en Belgique depuis plus de vingt ans, confirme: "Les Wallons se fatiguent vite. Ils ne travaillent pas beaucoup". Et elle raconte l'histoire des travaux à côté de chez elle. Elle assure avoir compté: les ouvriers ne travaillent pas plus de six heures par jour, car "quelques gouttes de pluie suffisent pour qu'ils arrêtent". Et puis, "chez les Flamands, c'est plus propre". Pas seulement paresseux, mais aussi sales, les Wallons. Mais le comble, c'est le reproche fait aux francophones belges d'accueillir trop de populations qui leur ressemblent: "Arabes, Turcs, qui ne travaillent pas, ou qui travaillent juste trois-quatre ans, et après ils prennent les allocations familiales et celles de chômage qui durent toute leur vie, car si vous êtes chef de famille, vous percevez ces allocations toute votre vie. Alors, ce n'est pas bien. Il faut travailler, comme les Flamands". Ah, si mes interlocuteurs turcs de Schaerbeek savaient à quel point, selon mon interlocutrice polonaise, ils ressemblent aux Wallons qu'elle méprise exactement comme eux; et en même temps autant qu'eux-mêmes, ils ne pourraient sans doute pas dormir la nuit...
 
A quelqu'un qui vient de l'extérieur, la Belgique apparaît comme un pays plein d'invisibles cloisons, où on mène une guerre acharnée de stéréotypes et d'égoïsmes. Personne ne peut la gagner, mais la Belgique peut la perdre.
 
 
Vous pouvez aussi écouter mon reportage sur le site de RFI: http://www.rfi.fr/europe/20100604-belgique-divisions-elections
 
Photos (2): Piotr Moszynski

 

1 Comments

Prenons un Wallon et un Flamand et mélangeons. Qu'obtient-on ? Un Belge ? Pas du tout ! Un Flallon et un Wamand. C'est à dire un travailleur sale et un feignant propre. Cependant des cas de crossing-over ont été observés et ont permis de détecter des Flallons feignants et propres et des Wamands travailleurs mais sales. A la troisième génération, les erreurs génétiques sont trop nombreuses et il n'est plus possible de les distinguer par ces simples caractéristiques. Heureusement, le Flallon parle néerlandais avec l'accent de Luik et le Wamand parle français avec l'accent d'Anvers, ce qui permet de savoir tout de suite qui est sale et qui est feignant. Parfaitement scientifique.