Une Japonaise, un Polonais et Paris

Quelques mois de tranquillité, d'une vie à peu près normale, et voilà, boom, ça y est, inévitablement un(e) des étranger(e)s qui côtoient les Parisiens sort un livre pour informer plus ou moins amèrement ses compatriotes que les serveurs parisiens sont impolis, les toilettes de la capitale française laissent à désirer et le métro dégage des odeurs inquiétants. Le dernier cri d’alarme en date, publié en août dernier, est l'œuvre d'une Japonaise, Mitsuko Zahar.

 
 Comme, à ma connaissance, aucune traduction n'existe actuellement en France, je ne me prononce pas sur le livre. Je profite simplement de l’occasion pour prévenir tous les futurs auteurs des livres sur les Parisiens du contexte dans lequel évoluent les objets de leurs dissertations.
 
Avant tout, il faut souligner qu'ils essaient de survivre dans de conditions très difficiles. Soumis à des expérimentations incessantes de leurs élus, ils s'adaptent à toute nouvelle forme de la vie urbaine avec une force et une insouciance qui laissent admiratif tout observateur extérieur qui se donne la peine de les observer vraiment.
 
On élargit les couloirs de bus en espérant d'encourager les Parisiens à se déplacer en transport en commun. En réalité, on obtient surtout que les voitures rejettent un peu plus de gaz d'échappement dans l'air parisien en passant plus de temps dans les embouteillages un peu plus monstrueux. Pas de problème. Les Parisiens s'adaptent: ils inventent un snobisme nommé Vélib. Sourire aux lèvres, ils vous assurent qu'il est fort plaisant de se servir d'un lourd vélocipède rustique sorti sans doute de la même chaîne de production que les chars Leclerc. Ils ajoutent qu'il est, en plus, très intéressant économiquement, très stimulant mentalement et très bon pour la santé de s'organiser de manière à pouvoir changer cet engin toutes les demi-heures, afin de profiter des premières 30 minutes gratuites et d'éviter ainsi de payer sa location. Voilà comment naissent les fortunes.
 
Les Parisiens partagent les expériences de ce genre avec les habitants de plusieurs autres villes françaises. En revanche, leur situation est unique sous au moins deux égards : personne d'autre en France n'accueille un nombre aussi impressionnant de dignitaires d'Etat et personne d'autre n'est exposé à une évaluation quasi incessante de tous ses faits et gestes par une masse aussi importante de touristes étrangers.
 
Les Parisiens doivent subir quotidiennement non seulement les embouteillages monstres, mais ils doivent aussi être toujours prêts à trouver assez de place dans les embouteillages pour laisser passer d'abord les motards qui gesticulent et sifflent beaucoup, puis les limousines dont les passagers ne gesticulent point et sifflent encore moins.
 
 
Quand le pauvre Parisien au volant pense que c'est fini et tente de revenir dans la circulation, retentissent les sirènes, les sifflets et les "qu'est-ce que vous faites, bon sang?!". Eh oui, c'est juste la délégation étrangère qui vient de passer, maintenant les hôtes français la suivent. Comment ne pas devenir nerveux et méfiant ?
 
La question est d'autant plus pertinente que le Parisien se sait exposé à l'observation permanente de gentils visiteurs de toutes les origines, cultures, langues, religions, courants politiques et orientations sexuelles du monde. Il ne peut pas simplement se promener dans la rue, s’asseoir sur la terrasse d’un café, draguer une fille ou demander un kilo de pommes de terre au marchand du coin. Il sait qu'à tout moment il peut être perçu comme un échantillon représentatif de la Ville, voire de la Nation. Il doit veiller à ne pas paraître trop prosaïque aux bouddhistes thaïlandais, trop rigide aux homosexuels australiens, trop timide aux nouveaux riches russes, trop paresseux aux protestants écossais, trop hésitant aux bûcherons scandinaves, trop sale aux simples Autrichiens, ou alors trop parisien aux newyorkais. C'est comme s'il comparaissait devant une Cour des comptes ambulante, associée aux gendarmes mobiles des mœurs. Tu ne sais pas quand tu es observé, qu'est-ce qui est évalué, qui et quand écrira le rapport, où il sera publié et quelle sera la punition.
 
Peut-être cette exposition incessante à l'évaluation fait que les Parisiens mettent du temps à devenir confiants et ouverts par rapport à un nouvel arrivant. Mais une fois le contact établi, on peut vraiment compter sur eux. J’en sais quelque chose.
Si vous voyez un vieillard mal rasé déambuler dans le métro et poser sur les sièges des petites feuilles où il est écrit : "Je suis un ancien réfugié polonais, j'ai 4 enfants, je n'ai heureusement pas besoin de tickets restaurants et je veux juste vous dire que je vous admire et que je n'oublierai jamais votre accueil quand, il y a plus d'un quart de siècle, je suis venu à Paris avec seulement 2 enfants et 3 valises" – sachez que c'est peut-être moi.
 
Et, avec moi, il y a environ 400 000 habitants d'origine étrangère enregistrés officiellement à Paris. Presque 20% de la population de la ville. Alors, les Parisiens pas accueillants car les serveurs dans les cafés ne sont pas toujours gentils? Façon de voir...