A quoi sert le sport?

Les Jeux Olympiques de Vancouver appartiennent à l'Histoire, on peut donc en parler plus calmement et avec une plus grande distance que lors de compétitions. Ils m'ont procuré exactement la même expérience que tous les précédents. J'ouvre n'importe quel journal télévisé sur n'importe quelle chaîne française et j'ai le choix entre trois types d'informations:

-         les Français ont eu x médailles, c'est merveilleux,
-         les Français n'ont eu aucune médaille, quel drame, qui est responsable?
-         les Français non seulement n'ont eu aucune médaille, mais ils sont arrivés très loin dans le classement, c'est un scandale, il faut une réforme.
 
 
Installé à Paris, on dirait que les JO sont organisés dans le seul et unique but de vérifier la forme des sportifs français. Les autres athlètes, leur servant à peine de toile de fond, méritent soit l'indifférence, soit un léger énervement quand ils barrent directement la route vers le podium aux Français. Oui, bien sûr, parfois la virtuosité des étangers est tellement incontestable et flagrante que l'on trouve quelques secondes pour exprimer son admiration. Toutefois, ces rares moments sont les exceptions qui confirment la règle: en France, généralement, on ne regarde pas les grandes compétitions sportives parce que l'on veut applaudir les grands athlètes et parce que l'on adore leurs exploits, mais parce que l'on veut savoir quelle est la place des Français.
 
Et ailleurs? Comment cela se passe ailleurs?
 
J'ouvre n'importe quel journal télévisé sur n'importe quelle chaîne polonaise et j'ai le choix entre trois types d'informations:
-         les Polonais ont eu x médailles, c'est merveilleux,
-         les Polonais n'ont eu aucune médaille, quel drame, qui est responsable?
-         les Polonais non seulement n'ont eu aucune médaille, mais ils sont arrivés très loin dans le classement, c'est un scandale, il faut une réforme.
Pour moi, qui vit quotidiennement à cheval entre ses deux sociétés, il est très curieux de voir à quel point les deux sont limitées dans leur accès aux informations et aux émotions sportives. Pendant une période comme les Jeux Olympiques, compétition à vocation pourtant universelle, elles vivent dans deux mondes totalement différents, séparés, qui n'ont presque aucun point commun, et surtout aucune émotion en commun.
 
En dehors de quelques vrais passionnés, les noms d'Adam Malysz (deux médailles d'argent en saut à ski) ou de Justyna Kowalczyk (Photo: Dziennik) -une médaille d'or, une d'argent et une de bronze en ski de fond- n'ont même pas effleuré les oreilles des spectateurs de journaux télévisés français. Non pas parce qu'il s'agit de noms difficiles à prononcer, mais parce qu'il n'y avait pas de Français sur les podiums de ces disciplines et leurs compatriotes s'en fichaient royalement.

Or, les Polonais sont convaincus que l'on parlait beaucoup de leurs héros dans le monde entier. Une médaille olympique, cela vous donne droit à une gloire universelle, non? Et quand il y en a deux ou trois par personne, les autres admirent comme nous... Pauvres naïfs.  A Paris, on regarde les JO pour voir les Français sur le podium. Les autres sont soit insignifiants, soit carrément ils nous dérangent et nous gâchent la fête.

A l'inverse, peu nombreux sont les Polonais qui aient jamais entendu parler de Vincent Jay ou de Jason Lamy Chapuis (Photo: AFP/Frank Fife), les médaillés d'or français en biathlon et en combiné nordique.  

Ce qui a été imaginé comme une grande fête mondiale du sport et des valeurs universelles qu'il porte, se désintègre en réalité en plusieurs vases clos qui ne communiquent pas entre eux et qui deviennent des étalages dispersés sur le plus grand bazar des chauvinismes du monde. La France et la Pologne sont simplement les premiers exemples que j'ai sous la main, mais on peut parier dix médailles d'or que la situation est à peu près pareille dans tous les autres pays. En réalité, si l'on voulait obtenir une image réelle de ce qui s'est passé aux JO de Vancouver, pour savoir quels sont les meilleurs sportifs du monde et en quoi consistent leurs exploits, il faudrait avoir un moyen de regarder tous les journaux télévisés de tous les pays à la fois, de les analyser et d'en faire un résumé global. Sinon, on a le droit de regarder en boucle le sixième couple en patinage artistique, parce qu'il est français.
 
Bien entendu, il est infiniment plus souhaitable que les gens hurlent leur chauvinisme et s'affrontent au nom de leurs nations sur un terrain de foot ou sur une piste de ski, et non pas sur un champ de bataille. Si le sport pouvait canaliser la haine et la frustration au point d'éliminer les guerres comme moyens de les exprimer, cela suffirait largement à digérer et accepter cette humiliation publique qu'il subit quotidiennement dans les télévisions du monde entier.
 
Le problème, c'est que le sport d'aujourd'hui ne suffit manifestement pas encore à éviter les guerres, mais, sous prétexte de pouvoir théoriquement le faire, il abdique de son rôle de porteur des idéaux qui devraient être les siens. Ceux-ci deviennent de gentils stéréotypes auxquels personne ne croit plus, mais qui permettent encore de tenir de beaux discours aux fonctionnaires de divers comités et fédérations.