Love me gender

Une querelle sur la théorie du genre (gender en anglais) ravage depuis déjà assez longtemps la Pologne. Elle commence à secouer la France à son tour. Comme le débat français vient seulement de prendre de l’ampleur, il paraît utile et nécessaire de rappeler quelques vérités de base en la matière. Il est peut-être déjà trop tard, mais il faut tenter sa chance quand même…
 
La tempête qui s’est déclenchée en Pologne est due en grande partie à l’existence d’une frange particulièrement traditionaliste et intégriste catholique de la population et de la classe politique. Frange à laquelle il suffit de dire « x est le mal absolu qui menace la Nation, l’Eglise ou la famille » pour qu’elle débranche immédiatement toute activité cérébrale permettant la moindre argumentation contradictoire au sujet de « x ». En Pologne, le « x » du moment, c’est « l’idéologie du genre ».
La France n’est encore qu’au stade préliminaire de la querelle, car on parle toujours plutôt de la théorie du genre, qui existe réellement, que d’une idéologie du même nom, qui est une invention des adversaires de la théorie, eux-mêmes parfois idéologisés à outrance. On peut donc toujours espérer qu’on en restera là et que la France reconfirmera sa réputation d’un pays particulièrement rationnel et tolérant à la fois. Hélas, à en juger par les premières réactions populaires, rien n’est moins sûr.
Que dit la théorie du genre ?
En gros, elle dit que les rôles masculins et féminins dans la société sont, certes, déterminés en grande partie par les facteurs biologiques, mais ceux-ci ne sont pas les seuls à les déterminer, car la société impose aussi des schémas et des codes selon lesquels il convient de jouer ces rôles. Parmi les exemples les plus évidents et les plus visibles, les codes vestimentaires qui, selon les cultures et les traditions, font porter aux femmes (ou aux hommes) certains types de vêtements que les hommes (ou les femmes) évitent de mettre sous peine d’être ridiculisés ou carrément rejetés par leur communauté, bien que rien dans leur patrimoine génétique ne leur impose un choix de tels ou tels vêtements. Un gène de jupe n’existe pas.
Selon les sociologues et les anthropologues qui ont développé la théorie du genre, ces schémas et ces codes sont inculqués aux humains dès leur plus jeune âge au cours du processus de l’éducation. Et ils ne concernent pas seulement les choix vestimentaires, mais aussi ceux de comportements, de fonctions dans la société, et même les rapports de force dans les relations sociales et personnelles.
 
Ainsi, pour ces chercheurs, un certain nombre de caractéristiques et comportements considérés communément comme « naturellement féminins » ou « naturellement masculins » n’ont en réalité rien à voir avec la nature biologique des humains, mais constituent des effets directs de l’éducation. Et en tant que tels, ils peuvent être gérés, modifiés ou redéfinis par la société ou par les individus intéressés eux-mêmes. D’ailleurs, les caractéristiques en question ont subi pendant des siècles des redéfinitions incessantes, particulièrement importantes et rapides au cours du dernier siècle dans le monde occidental.
Quelles leçons pratiques tire-t-on de la théorie du genre en suivant sa logique ?
Sur le plan personnel, chacun peut estimer que, sans rien changer dans son patrimoine génétique et biologique, on est libre de modifier ses caractéristiques et ses comportements prévus par les codes imposés par la société, si ceux-ci correspondent mal aux prédispositions et/ou aux préférences personnelles. Cela va de la vie professionnelle à la vie sexuelle. Exemples : une femme peut être meneuse, voire dominante, par rapport aux collaborateurs/trices qu’elle dirige ; un homme peut exercer des tâches ménagères et s’occuper de ses enfants ; une femme peut tomber amoureuse d’une autre femme ; un homme peut tomber amoureux d’un autre homme. En sortant du standard social qui semblait pendant longtemps immuable, personne ne cesse d’être biologiquement une femme ou un homme. Il/elle exerce seulement le droit de ne pas être standardisé et formaté par la société jusqu’aux sphères les plus intimes, les plus personnelles et les plus déterminantes pour l’épanouissement d’un être humain, comme son comportement dans sa vie professionnelle ou dans sa famille.
Si on suivait la logique de la théorie du genre sur le plan collectif, il faudrait lever certaines interdictions et certains tabous (comme ceux qui concernent l’homosexualité, la place des femmes dans l’entreprise ou le rôle des hommes dans la famille). Et surtout, il faudrait radicalement changer beaucoup d’habitudes, parfois séculaires. Bref, il faudrait apprendre à être plus ouverts aux changements et plus tolérants les uns par rapport aux autres. Il faudrait aussi cesser d’imposer aux enfants dès leur plus jeune âge des rôles sociaux préconçus, préfabriqués, stéréotypés.
Bien sûr, chacun est libre de refuser ou de suivre la théorie du genre sur le terrain de conséquences pratiques, pour des raisons qui lui sont propres. Et, évidemment, tout débat scientifique sur la théorie elle-même est plus que bienvenu. Ceci dit, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une théorie sérieuse, développée depuis déjà une quarantaine d’années et s’appuyant sur des recherches solides. Ainsi, il vaut mieux éviter de se ridiculiser en la taxant de stupide ou dangereuse parce qu’on n’aime pas ses possibles conséquences pratiques ou parce qu’on s’indigne de ce qu’on a seulement entendu parler, souvent de façon erronée, de ses possibles applications pratiques.
Or, ceux qui ne les aiment pas ou qui s’en indignent sont nombreux. Pire, ces possibles applications font souvent peur.
Elles font peur, car elles concernent le cœur même de la problématique de la liberté humaine, sujet délicat, qui suscite toujours beaucoup d’émotions. Elles font peur, car elles supposent un énorme travail sur soi d’une grande partie de la société, et pas seulement de la société occidentale, loin de là. Elles font peur, car elles bousculent les schémas connus et les points de repère établis « depuis toujours ».
Sous l’emprise de la peur, de mauvaises émotions, de l’indignation un peu rapide et superficielle, on tombe souvent dans l’excès et dans la caricature. C’est exactement le sort que subit actuellement la théorie du genre. Accusés par les critiques les plus fervents, mais manifestement les moins informés, d’inciter les enfants à se masturber, d’imposer aux garçons de porter les robes afin d’effacer les différences de sexe, ou de nier carrément l’existence de ces différences, les chercheurs qui travaillent sur la théorie du genre se sentent affolés et désarmés face à une telle avalanche d’absurdités. Il est très difficile d’expliquer qu’on n’est pas un chameau à quelqu’un qui ne vous avait jamais vu, mais qui a entendu une rumeur persistante, selon laquelle deux bosses auraient poussé sur votre dos.
En Pologne, une députée conservatrice Beata Kempa a créé une commission parlementaire censée de discuter sur la théorie du genre. Condition d’inscription : il faut se déclarer préalablement adversaire de ladite théorie. Le champ du débat reste donc assez restreint. Et Mme Kempa sillonne le pays avec des conférences où elle explique que « l’idéologie » du genre menace l’existence biologique de la nation polonaise. En effet, si on admet que cette terrible « idéologie » oblige les enfants à oublier leur sexe biologique et à se comporter de façon asexuée, il y a de quoi s’inquiéter pour les futures générations. Sauf que c’est totalement faux. Or, en France, où Mme Kempa ne sévit pas encore avec ses conférences, il y a quand même déjà des parents qui s’en affolent tellement qu’ils retirent leurs enfants des écoles.
Dans le cadre de la querelle en cours, aux questionnements extrêmement sérieux, d’ordre civilisationnel, on oppose souvent des réactions épidermiques qui veulent dire qu’il ne faut surtout pas oser des questionnements de ce genre, et qui les tournent en dérision. Dans un tel contexte, aucun débat rationnel n’est possible. Pour qu’il le soit, il faudrait calmer le jeu en évitant les attaques idéologiques et en lisant un peu plus que les suppositions sur les applications pratiques de la théorie qu’on attaque.

Parmi les catholiques radicaux polonais, la notion de gender est déjà devenue presque un gros mot, tellement les émotions ont éclipsé la raison. La France a encore une chance de préserver la notion du genre comme objet d’un débat contradictoire, dépassionné et désidéologisé.  

 

Photos: elsevier.com, injapan.gaijinpan.com, businessinsider.com, fysopgenderfocus.wordpress.com, afcbasdauphine.canalblog.com, lamanifpourtous41.fr, ec.europa.eu

3 Comments

JCM je suis tout à fait d'accord avec vous. Le féminisme radical doit être dénoncé dans cet affaire en ce qu'il fait une guerre sourde aux hommes, aux pères et aux garçons : http://www.homme-culture-identite.com/article-pour-comprendre-que-les-ideologues-du-genre-font-une-guerre-sournoise-aux-gar-ons-au...

Le problème de fond en réalité c'est le féminisme radical qui est l'arme déguisée contemporaine du puritanisme de toujours, au bénéfice d'un seul sexe. Seule la sexualité féminine est vertueuse , la sexualité masculine est agressive et dominatrice. On assimile ainsi la sexualité au mal , non plus au nom du plaisir interdit, mais on nom du respect des femmes. Inacceptable.
Je suis homosexuel, pas spécialement viril, mais très clairement opposé à l'idéologie du genre , que je considère comme une attaque frontale contre ma sexualité et non le contraire. C'est le féminisme radical qui est à l'origine du gender et non les homosexuels ( hommes du moins ).

Il est parfaitement exact que ce qui était une simple étude sur la diversité humaine est devenu une idéologie dangereuse.

La Norvège a aussi eu ces débats, mais sur des bases scientifiques que le documentaire télé suivant a mis en lumière : http://www.homme-culture-identite.com/article-au-coeur-des-politiques-d-egalite-entre-les-hommes-et-les-femmes-une-ideologie-demas...

Suite à ces débats les recherches sur le genre n'ont plus été financées par l'état norvégien.